Depuis le début de la campagne électorale, une véritable offensive médiatique s’est mise en place visant à encourager les « jeunes » à exercer leur droit de vote aux élections du 1er octobre prochain. En 2018, les 18-34 ans représenteront le tiers de l’électorat, et pourtant le taux d’abstention chez les « jeunes » s’accroît d’année en année depuis 1980. Plusieurs s’en désolent, nous y voyons plutôt une forme de lucidité fertile pour les temps à venir.
Élections Québec a lancé la semaine dernière une large campagne sur les campus et les réseaux sociaux visant à encourager la participation des « jeunes » aux élections, Rad (la plateforme jeune et branchée de Radio-Canada) cumule les vidéos condescendants et méprisants allant dans le même sens, la Presse organise un colloque « Jeunes et politique » et le Parlement jeunesse du Québec tient la semaine prochaine une discussion à la Coop des Récoltes (d’ailleurs wtf) : « Pourquoi les jeunes ne votent pas ? ». Mais pourquoi les jeunes ne votent-ils pas ? Ce qu’on cherche à savoir, c’est surtout comment les intéresser à la politique parlementaire et comment les amener à voter. Selon l’Institut du Nouveau Monde, « l’abstention électorale des jeunes est un drame », « une menace à notre démocratie », carrément « un suicide politique ». L’heure n’est pas à la rigolade. Les élections sont le processus de légitimation le plus important de l’État moderne : en omettant d’y participer, les gens ébranlent sa légitimité à gouverner et à administrer, que leur abstention provienne d’un choix politique « conscient » ou non. Le fait qu’un pan entier de la société se désengage face à ce processus n’augure rien de bon pour le système politique étatique et en dit long sur la confiance que la jeunesse lui porte.
L’abstentionnisme est pourtant traité comme un mal à combattre — engendré par le cynisme, le désintérêt envers la politique et le manque d’information — plutôt que comme un symptôme de la morbidité de notre système politique. Cynisme, vous dîtes ? Mais qui peut sincèrement s’en étonner ? À l’exception de quelques illuminés et d’une poignée de crapules carriéristes, plus personne ne prend au sérieux le cirque électoral qui accapare l’espace public tous les quatre ans.
La génération des baby-boomers est, depuis les années 70, la grande championne des taux de participation électorale. Son poids démographique décroissant conjugué au manque d’intérêt des « jeunes » à reprendre le flambeau a de quoi alarmer le pouvoir. Loin de notre époque, les baby-boomers ont connu une jeunesse remplie d’espoir et de promesses. Si plusieurs possibles se sont alors entrecroisés, les laissant rêver à des mondes différents et à de meilleurs lendemains, c’est sur la consolidation de l’État québécois, de l’État « Providence », qu’ils ont finalement tout misé. La Révolution tranquille s’est soldée par une vaste entreprise de captation et de pacification des multiples expériences et désirs révolutionnaires de l’époque. Cinquante ans plus tard, les éteignoirs de la gauche caviar comme les pires politiciens réactionnaires ne nous offrent en guise d’avenir que la répétition de leurs défaites. C’est un monde en ruines que les baby-boomers nous lèguent. L’État capitaliste nous laisse devant un avenir sans horizon : on baigne depuis notre naissance dans l’imminence de la catastrophe écologique, les frontières nous emmurent toujours plus, les prisons débordent, Google nous écoute tout le temps, même les nazis sont de retour ! On s’excusera de ne pas partager leur enthousiasme envers le système politique et économique qui a laminé toute possibilité d’aspirer à une vie bonne.
Le 1er octobre, ne nous laissons pas abattre par la morosité électorale, ne nous contentons pas d’un abstentionnisme passif. Faisons plutôt de cette soirée un moment de subversion complète, une occasion de se rappeler que le capitalisme et l’État ne sont pas des fatalités. Prenons cet évènement comme prétexte pour se rencontrer, conspirer, construire de nouvelles solidarités et se préparer à affronter la vague réactionnaire qui nous attend au détour des prochaines années.