Plusieurs campus étudiants se dirigent vers une grève générale à l’hiver 2019 dans le cadre de la campagne pour la rémunération des stages menée par les Comités Unitaires sur le Travail Étudiant (CUTE). La grève est l’interruption de nos activités quotidiennes. Elle ouvre une temporalité nouvelle qui remet en question notre rapport au travail et aux études et qui nous amène à penser collectivement la façon dont on dispose de ce temps libéré. Il n’existe pas de modus operandi ou de recette unique à la grève étudiante, chaque grève prend racine dans les modes d’action et les discours des personnes et des groupes qui y prennent part. Réfléchir le faire grève, c’est considérer son déploiement matériel au sein du mouvement étudiant, sa dimension stratégique et tactique, mais aussi sa capacité à transformer notre expérience politique.
Voter et maintenir la grève
C’est une des thématiques récurrentes depuis les débuts de l’organisation de la grève des stages : il y a un travail acharné, et souvent invisibilisé, nécessaire à l’organisation d’une grève. On doit d’abord s’assurer que la grève soit votée. Il faut organiser des AG, les mobber, les animer. Il faut produire du matériel d’information, le distribuer, parler aux étudiant.es. Lorsqu’on étudie sur un campus où la grève passe facilement, cela veut dire aller prêter main forte aux autres campus, à Montréal mais aussi en région. Une fois la grève votée, il faut s’assurer qu’elle soit effective. Dans le cas présent, ça veut dire s’assurer que les stages soient grévés en plus de s’assurer qu’aucun cours ne se donne. Les levées de cours et les blocages de l’université ne suffisent pas, il faut investir les milieux de stages et les étudiant.es doivent se solidariser avec les stagiaires. Le maintien de la grève ne doit toutefois pas être séparé de toutes les tâches quotidiennes et nécessaires à sa reproduction : mettre sur pied des cantines pour nourrir les grévistes, ouvrir des espaces de repos et de care, organiser des ateliers et des camps de formation, etc.
Construire un rapport de force
Si la grève, par l’arrêt de la production, est en soi un moyen de pression, la véritable menace qu’elle porte dépasse l’argument économique. La grève est un mouvement de retrait offensif, alors qu’on reprend collectivement le contrôle de notre temps et qu’on s’organise dans le but d’améliorer nos conditions d’existence. C’est avec la puissance collective qui se développe au sein de la grève que s’accroît notre rapport de force: en faisant éclater le conflits dans l’espace public, en apprenant à prendre la rue ensemble, en multipliant les actions de blocage ou les sabotages anonymes. Notre rapport de force se construit ainsi dans l’agencement de la visibilité de la lutte, de l’effectivité des blocages et de l’apprentissage de l’organisation collective. L’orientation féministe de cette grève nous donne la chance de sérieusement repenser la distribution genrée des rôles au sein des luttes : par exemple en portant attention aux prises de paroles, en organisant des blocages ou des actions en mixité choisie ou en revalorisant des tâches traditionnellement associées au genre féminin.
Déborder la grève
Cette grève est organisée de longue haleine par des militant.es qui se vouent corps et âmes pour s’assurer qu’elle ait lieu. Ce qui fait la puissance des moments de grèves, c’est toutefois tout ce qui arrive ensuite à déborder et à dépasser la planification. La grève est intensité, accélération et effervescence. Elle est composée de rencontres, de solidarités inattendues, de débordements festifs et de transgressions de la vie quotidienne. Elle tire sa force de ces moments qui la débordent : occupations de nos milieux de vie, fêtes improvisées, actions spontanées ou manifestations sauvages. Une grève effective se dérobe à toute planification, elle est prise d’assaut par une multitude de bandes, de groupes et de collectifs, elle forge des amitiés politiques qui la dépassent et lui survivent. La victoire d’une grève se mesure ainsi bien plus à la puissance collective qu’on en retire qu’à ce que l’État a bien voulu nous concéder.