Le mouvement pour la rémunération de tous les stages arrive à un point culminant : près de 60 000 étudiant.es sont en grève aujourd’hui. Les cours sont levés et les milieux de stage sont désertés par celles et ceux qui ne peuvent plus endurer que ces centaines, voire ces milliers d’heures ne nous rapportent même pas de quoi continuer à vivre. Car au fond de la question de la rémunération des stages se trouve le problème du temps de nos vies que nous sommes forcé.es d’allouer au travail. La nécessité que quiconque ait à s’endetter, c’est-à-dire à hypothéquer du temps futur, ou encore à assumer un emploi salarié en plus de son stage nous répugne et nous pousse à penser plus largement à l’importance du travail dans nos vies et dans les horizons que nous envisageons pour le futur. C’est en ce sens que la lutte pour la rémunération des stages doit être une lutte contre le travail. Recevoir un salaire en échange de son temps de stage permet avant tout de ne pas avoir à travailler deux fois plus pour pouvoir assurer ses besoins.

Nous désirons imaginer ce que pourrait signifier une opposition politique au travail et l’élaboration de modes d’existence qui n’en font pas une centralité. Plutôt que de poser l’identité «travailleur/travailleuse» comme base de toute revendication politique, nous voulons en tracer l’éclatement, nous penser comme non-travailleurs/travailleuses, comme contre le travail. Si nous sommes encore aujourd’hui des travailleurs/travailleuses, des exploité.s, c’est à partir du désir de se défaire de cette situation que nous pensons le politique. Le travail n’est pas la situation à la base de notre identité, mais un problème dans lequel nous nous trouvons toujours capturé.es et auquel nous cherchons une solution révolutionnaire.

Le développement de la grève des stages, avec les possibilités de répression qu’elle implique pour celles et ceux qui décideront de ne pas se présenter, impose de réfléchir à la puissance de nos réponses collectives. L’expérience des grèves du passé montre que seule la menace émanant d’un mouvement combatif peut permettre d’éviter la répression individuelle. En temps normal, l’abstentéisme est facile à réprimer. En temps de grève, quand notre puissance devient manifeste, le rapport de force est entre nos mains. Il n’en tient qu’à nous de se constituer en puissance autonome au sein de la grève générale illimitée qui arrive : user des moyens qui font trembler le pouvoir d’État et refuser dans ses fondements même leur logique marchande et disciplinaire.

Ne nous laissons pas avaler par le monde capitaliste et son rapport idéologique au travail. Faisons de cette grève qui s’annonce un moment de subversion, de nos revendications matérielles légitime une arme contre leur productivité, de nos corps en lutte une force ingouvernable.

« De fait, si l’Autonomie est le plan de consistance commun, dans la vérité des choses et des existences, il faudrait toujours se référer aux autonomies : autonomie des ouvriers et ouvrières, autonomie des étudiant.e.s, autonomie des femmes, autonomie des homosexuel.le.s, autonomie des enfants, autonomie des prisonniers et des prisonnières, autonomie de quiconque aurait choisi, partant de ses propres contradictions, la voie de la lutte contre le travail et contre l’État, de la sécession avec le fantasme de la société civile et de la subversion de la vie ensemble avec d’autres. »

-Marcello Tari, Autonomie! Italie les années 70